Le silence des pantoufles

 

"Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles"... Cette phrase avait été inscrite sur le tableau blanc de la petite salle de répèt' de la Soirée Châtaignes aux Taillas. C'était une semaine avant le Festival Social qui a résonné durant trois jours, début Octobre, dans la ponote caillasse du centre Pierre Cardinal.

"Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles"... Le vendredi soir, donc, après le boulot, je laissai mes pantoufles sous le radiateur et je m'en allai covoiturer en direction du Puy‑en‑Velay.

 

Ces derniers mois, ils n' avaient pas dû y être souvent dans leurs pantoufles, les organisateurs, car ça n'avait pas chômé en coulisse! Cinq forums en trois jours, animés par des intervenants, théoriciens, praticiens ... décortiqueurs de thèmes comme «  l'agriculture paysanne », « les logiciels libres », « la décroissance », « l’éducation », « la grande distribution »... Chaque intervention était suivie de débats, du vrai débat, du bio de celui où l'on garde tout sans rien couper. Car aussi surprenant qu' ça puisse paraître, tout le monde n'était pas d'accord dans ce Festival Social. Et n'est‑ce pas justement la diversité des points de vue qui rend l'échange

intéressant, fécond ?

 

Je me souviens d'une prise de bec entre un agriculteur et une ménagère qui refuse de payer les légumes du marché seulement 5% moins cher qu'en grande surface ... De l'indignation de cette employée de la préfecture (un peu trop) convaincue de l'incorruptibilité des fonctionnaires et qui traite de menteur un intervenant de l'"UFC Que Choisir": ce dernier avait eu le culot d'affirmer que les grandes marques d'automobiles avaient accès aux fichiers du service d'immatriculation des préfectures et pouvaient ainsi draguer le client directement dans les boites aux lettres ... etc...

Et les discussions se poursuivaient bon train autour d'un pot au feu ou d'une purée/côte de porc préparés par quelques cordons‑bleus de la Confédération Paysanne 43. Le tout servi en musique : une dizaine de groupes a pu s'exprimer pendant tout le week‑end.

 

Dans les étages du Centre Pierre Cardinal, on pouvait en prendre plein les yeux et les oreilles. Au deuxième, un film de quelques minutes tournait en boucle: "L'île aux fleurs", petit film caustique mais nécessaire, de ceux qui remuent bien au fond de l'estomac, la purée/côte de porc. En parlant de porc, dans ce court récit qui décrit l'acheminement d'une tomate depuis le champ jusqu'à la décharge, il est justement question de porcs ... de porc puis... d'êtres humains.

A l'étage en dessous : le grand SUPERMARCHÉ CHOMPIAN. Un faux, tout en carton, tellement faux qu'il en était plus vrai que le vrai ... Tout y était. Ils n'avaient rien oublié les copains de St Pal : le fameux slogan à l'entrée qui était devenu "POUR NOUS UN CLIENT C'EST (UN) SACRE (CON) ", à l'intérieur, la musique de merde, les glaces déformantes, les rayons pour les pauvres, à ras du sol… les soi-disant promos et tout autre piège à con(sommateurs) ... Un graphique faisait état des dépenses d'énergie: l'Energie de la planète avalée goulûment par les grosses centrales de distribution ... Et à la sortie, le S B A M des caissières ( Sourire‑ Bonjour‑ Au revoir ‑ Merci ) avec en prime , un tour de reins à chacun de nos sacs (plastique) qu'elles remplissent elles‑mêmes...

 

Bref, c'est tout un village associatif qui s'est animé pendant trois jours, avec ses stands, un marché fermier, des ateliers pour les enfants pendant les forums. Et c'était un bon Week End!

 

Mais pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles...

A un moment où j'étais en train d'apprendre des choses que je croyais d'ailleurs bien connaître, j'eus une pensée agacée pour tous ceux qui ne se sont pas déplacés ce week end là, Vous savez ? Ceux qui brillent par leur absence et qui se justifient le lendemain, par un "moi, j’y vais pas à ces trucs où on tourne en rond et où on prêche qu'à des convaincus !... ‑"

Que répondre à tous ceux‑là - qui pour certains, sont des copains, membres d'associations locales dont je fais partie aussi ‑ Que répondre? Qu'un convaincu, c'est dangereux parce que ça ne bouge plus ? Que les convictions, seules et isolées, ça nous en fait d' belles ? . .. ou encore, qu'il n'y a que les convaincus qui ne changent pas d'avis ?... qu' il y a urgence, qu'il faut agir, ensemble et laisser aux politiques politiciens les conflits de pouvoir !...

Et puis il y a ce mot : prêcher. Là‑bas, personne n'a prêché. Je n'ai pas entendu de gourou ni de maître, encore moins de donneur de leçon. J'y ai rencontré des femmes et des hommes qui voient déraper le monde et qui cherchent des solutions pour lui redonner un sens... des sens... du sens... Simplement des citoyens qui refusent que leurs enfants respirent, mangent, pensent et créent ce que ce monde hyper‑marchand nous impose depuis trop longtemps: de la merde dans du papier d'argent !

 

Parce que le Bonheur c'est tout autre chose qu'un caddie bien rempli d'Inutile qui nourrit le paraître, qui pollue la planète et contamine les foyers, dans l'insupportable silence des pantoufles...